Les Alpilles en fond, 50 purs sang Arabes, des Cinsaults magnifiques.
Je vais pas vous resservir la carte postale qu’on lit sans cesse sur le domaine Hauvette, même si on n’arrête sans doute jamais de s’émerveiller devant tout ça.
C’était la carte postale d’un week-end chez Dominique Hauvette.
Une fête pour ses 70 ans ? Son titre de meilleure vigneronne de France par la RVF ? Pour montrer qu’elle est toujours là, malgré le temps qui passe, les accidents, les critiques, les succès ? Elle préfère parler d’une fête pour ses 33èmes vendanges… Quand son filleul prendra la parole le temps d’un discours balayé par le mistral il dira « Ma marraine m’aura fait trouver dieu et la spiritualité par des chemins de traverses. Elle qui m’a fait boire mes premiers verres de vin ».
Y a de ça.
Tout a commencé le vendredi, repas intime au pied des oliviers, Antony Cointre en chef cuistot pour les amateurs de name dropping, Gargantua en chef cuistot pour ceux qui le connaissent.
Dominique qui passe en coup de vent poser sur notre table une quille de Jaspe 2018, son blanc à dominante de Roussane et Cornaline 2012. Je me tait, j ‘écoute un rédacteur de la RVF simplement dire que c’est un des meilleurs vins qui lui ait été donné de boire. Je souris en me disant que je suis pas le seul à avoir l’exagération facile.
Je plonge mon nez dedans.
Ouuuf c’est bon.
Et le lendemain le plat de résistance, 13 heures.
A peine arrivé un ami caviste me remplit mon verre d’un joli rosé, mon premier de l’année je crois, en tout cas le premier à marqué ma mémoire, à me rappeler qu’un rosé c’est un peu plus qu’un vin qu’on oublie. Mas Jullien

Mais la maîtresse de maison c’est madame Hauvette et elle ouvre un vieux blanc de 2001 « avant que je sois connue ». Ça a la fraîcheur et l’insolence d’une femme qui rentre dans la vingtaine, ça te fout une petite claque puis une bise sur la joue. Un vin taquin.
Puis Améthyste 2009. Améthyste ça ne rigole plus. Ou alors c’est le rire sérieux que te donne une œuvre d’art qui te bouleverse un peu. 80% de Cinsault, élevé en œuf en béton, un nez qui te laisse à penser que tu te roule sur un flanc de montagne couvert de framboisier, une bouche à l’élégance absolue, la classe folle et une finesse qui touche la perfection. Je suis absolument amoureux du 2017, le 2009 lui a gagné en sérieux, encore plus en dentelle avec cette jolie patine du temps. Ce qu’il a perdu d’arrogance il l’a gagné en sagesse pour mieux laisser penseur. J’aime ce vin.

Et il y a les invités, « s’ils sont pas trop salaud ils devraient amener une quille ou deux de leurs vins » avait prévenu Dominique. Les cartons qu’ils emmènent s’entassent derrière le bar.
Guillaume du domaine de Sulauze, bien inspiré par le travail du domaine Hauvette, te fait goûter Chapelle Laique, un vin à majorité de Cinsault élevé en diamant en béton… C’est très bon, ça ne boxe pas dans la même catégorie qu’Améthyste mais c’est un vin de copain qui boivent sans soif, qui discutent un peu fort et se disputent parfois mais qui peuvent se réconcilier autour de Sciaccarellu, autre vin de Guillaume qui s’amuse avec ce cépage Corse, un vin plus structuré, plus profond. Domaine de Sulauze y a quand même l’assurance de passer un bon moment et de pouvoir boire une de leurs bières pour se rafraîchir.

Ronald aussi doit bien être inspiré par Hauvette, il y a travaillé un peu, avant de lui racheter des vignes dans le Roussillon. Dont il sort une Syrah toute douce et un Maccabeu aux amers trop rares dans le paysage sudiste. Les étiquettes m’appelaient depuis un petit moment, j’aurais du craquer plus tôt.

Fanny Daher elle travaille à Sulauze, et à coté elle achète de « jolis raisins » et elle fait de jolis vins. C’est aussi simple que ça. En apparence bien sur. En creusant un peu c’est son deuxième millésime, elle balbutie encore pas mal, normal. Elle a un peu foiré quelques hectos de son pétillant, une barrique ou deux feront du vinaigre. Normal. Ce qu’elle vend par contre est très bien. « Copinages & Crustacés » en plus d’être un nom de cuvée au poil et un vin blanc sur l’acidité qui te donne envie de croire que t’arriveras à passer l’été et les canicules, « La pétillante » est un petnat tout agrume aux bulles fines te laisse même à penser que tu feras quelques bons apéro. Bref des vins à grande buvabilité avec une touche toute féminine et sensible.

Une petite pause avec une quille Hauvette ? Dolia 2009, un élevage d’un an en œuf ici aussi. On quitte les blancs d’apéros et on rentre dans les grands blancs, ceux qui te tiennent la table, ceux qui vieillissent magnifiquement et gagnent en précision avec le temps. Henry Milan est dans le coin, pas grand chose le fait s’arrêter de parler à part une gorgée de ce vin. Sublime.

Au loin le gargantuesque Antony Cointre m’appelle et me sort de ma rêverie « Hé le jeune goûte ça » et il me remplit mon verre. « Chut dit pas trop fort que c’est pas terrible ils sont juste là ».

Les Breton ils me suivent, sans le savoir, dans chacune de mes buveries, de la première fois où j’ai goûté un de leur Cabernet Franc et que je n’arrêtais pas de dire que je n’aimais pas tout en me resservant des verres, à l’Italie en passant par Brighton, y a toujours eu des bouteilles de ces grands noms de la Loire pas loin. Et d’un seul coup je suis à leur table. Ok
Je suis déjà un peu moins ok quand je comprends que Foillard est juste à ma gauche, que Richaud se sert un verre d’Ebrescade à ma droite et qu’on remplit mon verre d’un Champagne Larmendier

Y aurait presque une querelle des anciens et des modernes qui se crée intimement en moi. Me faire petite souris silencieuse au milieu de ces grandes personnes ou aller parler avec les copains de chez Sulauze ou de la Ferme Viticole. Michèle Aubéry du domaine Gramenon prend la décision pour moi en commençant à me parler, je lui glisse que ma mère m’a offert un de ses vins pour mes 22 ans, elle rigole en comprenant que je connais sa vie comme si j’avais lu une biographie sur elle, on boit un magnum de Poignée de raisins comme si c’était du petit lait. Le juste milieux entre vin de soif et vin sérieux il est là. Tu t’amuses en le buvant et ça te donne envie de parler de philo et d’enracinement de grenaches centenaires. Je la remercie chaudement pour le quart d’heure de bons mots qu’on vient de passer, elle m’invite à passer au domaine, elle m’encourage pour les quelques ares de vignes dont je m’occupe.

Personne la plus douce avec qui j’ai eu l’occasion de parler. Vin le plus doux et agréable que j’ai bu.
Puis les souvenirs deviennent plus flou, l’aprem est passée sans y penser, un deuxième repas se formente, on passe de table en table, d’amis en amis, d’inconnus en connaissance.
A la table du domaine Belluard, à parler de transmission, des « fils de » qui doivent souffrir de l’ombre de leurs parents, des gens sans terre qui prennent en fermage quelques hectares et se lancent. Parler du cépage Gringet aussi, qui ne pousse qu’au pied du mont-blanc et qui donne cette flamboyante cuvée:

A la table du mas Libian, à parler pétanque évidemment et renaissance des appellations. A parler de l’obligation d’être humble face au terroir, de pas forcer le terroir à sortir des vins profonds si c’est une terre d’où sort des « petits vins de rigolades »
A la table de la Tour du Bon à parler d’Amphore, que c’est beaucoup trop cher et chiant à nettoyer, que c’est devenu bien trop la mode, mais que «putain c’est bon » lâche Antony pas trop loin.

Retour au bar, du Dominique Hauvette coule à flot. On profite de la magie. Roucas 2018, le vin plaisir, Petra le rosé élevé en œuf qui te taquine la gorge avec son joli alcool tranchant.

Dominique 70 ans est magnifique dans sa robe provençale, elle vole même la vedette à ses propre vins. Pourtant elle se voudrait discrète, elle chuchote « mais pourquoi il est aussi bon ce vin ? » en trempant les lèvres dans un vieux rouge des années 90. Elle parle de chevaux, de son amour pour les chiens, elle n’arrivera pas à dire bonjour aux 200 personnes présentes, elle écoutera d’une oreille distraite les discours flatteurs, elle jouera avec un bébé plutôt que de goûter les verres tremblant que de jeunes vignerons lui proposent.
Son vin lui ressemble absolument. Il y a le terroir des Alpilles, il y a les œufs, il y a un amour profond de la nature mais il y a surtout Dominique.
Ses vins portent son sourire sublime et rare. Ils ont, je me répète, l’élégance de celle qui se fait discrète et la beauté désarmante de la franchise.
Il y avait les Breton, il y avait Foillard qui parlait de Chauvet, il y avait la famille Durrbach et du champagne de Jacquesson mais le plus beau vin était celui de Dominique. Sans discussion.
« Je veux des vins qui laissent une bouche fraiche, pour qu’on en reprenne encore ».
On en a beaucoup repris.
On s’est fini la soirée avec des quilles qui traînaient. Des trucs amenés par des cavistes, on avait peut être pas vraiment le droit de les ouvrir. Surtout quand tu regardes le lendemain le prix.

Des choses comme ça.
Ca n’avait pas la folie des verres signés Dominique Hauvette.
Je me suis endormi au pied des Alpilles, juste contre des Marsanne du domaine.
Les cigales se sont mises à chanter ce jours là. Je vous jure. Pile pour la fête de Dominique.
Le lendemain elles étaient plus en forme que nous. On a pris un brunch, le regard un peu hagard, on s’est siroté des bières de Sulauze, Antony Cointre a finit son cirque avec un dernier tour gourmand, on s’est sifflé un verre de pinot du domaine des Bott. Ça passait tout seul. Parfait.
L’impression de vivre dans une carte postale.
Merci Dominique. Pour la fête et pour avoir enfanté milles fois ces vignes pour nous donner ces vins sublimes