Domaine Milan, des vendanges sur un petit nuage

Kumo : Nuage


Je sais pas si mes sens sont complètement perdus à 6 heures du matin ou s’ils n’ont jamais été aussi affûtés mais la route entre Arles et St Rémy sentait le miel et le romarin.

Je devais rêver de tisane mais les raisins n’attendent pas.

Premier jour de vendange. Ce sera une parcelle vers Eyragues, « on prend un peu de recul pour mieux voir les Alpilles ». C’est un bon jours pour commencer à ramasser le raisin, de légers nuages et un vent frais nous protègent.

Le raisin à 7h du matin, avec le soleil qui se lève, la peau pleine de rosée…

« Vous avez vu le lever de soleil? Perpendiculaire aux vignes, leurs ombres vers le mas… Les fans de nombre d’or sont aux anges avec cette parcelle…

Enfin c’est magnifique quoi »

Henry Milan

La récompense pour les vendangeurs.

A droite le Grand Blanc 2016, Grenache Blanc, Rolle, Roussanne, Chardonnay et Muscat. « Cette année on devrait avoir un très très grand Blanc, les raisins étaient magnifiques »

A gauche le Kumo 2018, création de Théo Milan, dont la mise en bouteille vient juste de se faire. « 100% Grenache, on a été surpris par sa fraîcheur et sa simplicité. C’est le millésime qui est comme ça. »

En bouche aucune acidité, c’est désaltérant, ce gout de grenadine que l’Anglore peut avoir.

Juste de la fraicheur. Avec un léger fond un peu sombre, un peu plus complexe.

Un joli nuage


Par pudeur je vais faire l’impasse sur mes mains déchiquetées, mon dos qui hurle un peu.

Et on va garder le plaisir d’être dans les vignes, de participer, même juste un peu, à des magnifiques vins, au pied d’un endroit que j’adore…

 » Je me réveille le matin, je suis en accord avec moi même. Je respecte une terre magnifique, vinifie des raisins sains, je vends des vins que j’aime »

Théo Milan

Je me réveille le matin je suis en accord avec moi même. Je fais les vendanges.

Les vins oranges de mon pays

Si le vin orange est né quelque part le long du Caucase, entre la Géorgie et l’Arménie, que des Italiens l’ont réinventé le long de la frontière Slovène, des français aussi s’amusent avec le vin blanc de macération. Trois exemples pas loin de chez moi:


Domaine de Sulauze, Super Schluck:

Retour au Chardon, restaurant sur Arles avec des chefs en résidence. On est il y a quelques semaines maintenant, le début de l’été, aucun mistral dans les rues d’Arles pour nous rafraîchir. Il fait chaud, il fait soif. « C’est l’occasion de boire un de ces vins oranges dont tu nous parles tant non? »

Oui. Carrément.

Le vin orange comme vin de soif, vin de copain, plus que comme une démonstration d’acide, d’épice, de volatile, d’oxydatif, de tanins ?

Mission réussie avec cette « Super gorgée » et son 10,5 ridicule.

Ridicule en degré alcoolique mais pas en plaisir. On serait presque sur une bière tellement cette amertume rafraîchit et désaltère.

C’est pas déconnant parceque les Sulauze font aussi de la bière à Miramas. Il va vraiment falloir aller les voir eux…

Ils sont en biodynamie, pas loin d’Istres et cultive la vigne bien sur, mais aussi blé, orge, oliviers et quelques légumes. Le tout vu comme un organisme vivant, cohérent dans son ensemble.

Un vin parfaitement cohérent justement, un équilibre entre fraîcheur, vivacité et tanins qui lui donne une structure qu’on ne pourrait imaginer pour un vin à 10.5.

« Parce que vous l’avalez bien »


Domaine Kreydenweiss, Or Ange:

Après des champenois dans le Gard et du Sangiovese dans le sud de la France des Alsaciens dans les Costières?

Est-ce que l’envie de découvrir de découvrir de nouveaux vignobles ne commence pas à se faire trop sentir?

En attendant, Marc Kreydenweiss arrive à Manduel en 1999, « pour assouvir sa passion pour les vins rouges » selon leurs site, « parce qu’il avait une petite bougeotte » selon Jean, son fils.

Marc a passé ses quelques hectares en biodynamie, s’est occupé amoureusement de Carignan centenaires, à produit des rouges magnifiques d’une belle acidité si dure à trouver dans le sud. Puis il a laissé les rênes à son fils en 2016

« La première année j’ai mis zéro souffre, je regrette, le millésime n’était pas assez bon pour ça, ils vieillissent mal. Le meilleur restait cette petite cuve de vin blanc macéré que j’expérimentais. Ça ça tenait parfaitement, c’était vivant mais rigoureux. J’ai continué à en faire. Je m’éclate à le faire. Les millésimes suivants et les canicules m’ont poussé à arrêter de faire du blanc pour l’instant. Je laisse ça à mon frère et mon père en Alsace, ici les muscat et les gewurtz ont brûlés. Je me rafraîchis avec de l’or Ange « 

« C’est un vin de verger. Je sais pas si tu vois ce que je veux dire ? D’herbes fraîches et vertes, de fruits et d’arbres »

Pas mieux. A ne surtout pas siroter en terrasse alors, le laisser vivre de façon un peu sauvage pour mieux apprécier ses arômes agrumes et son côté un peu méchant dans l’acide. « La sucrosité en Alsace c’est beaucoup un objectif, moi j’en veux mais un peu, juste pour apporter un équilibre ». C’est réussi, la fin en est presque moelleuse après l’entame qui vivifie.

« Je veux avoir l’impression qu’on croque dans un pêche, la peau est un peu rêche, puis y a un craquement et on se fout du jus partout. C’est gourmand »

Il est du genre à réussir à concrétiser ses envies visiblement le fils Kreydenweiss, alors je croise des doigts pour sa réussite à « proposer un vin orange de négoce à moins de dix euros. Je vais essayer cette année. Les prix d’un orange sont trop chiant »


Domaine Milan, Luna & Gaia:

« Tu veux goûter notre orange 2018? On le mettra en bouteille cet Automne »

Oui. Oui!

Le 2018 c’est Roussanne, Rolle, Chardonnay, Muscat macérés 5 semaines au pied des Alpilles.

C’est celui de gauche sur la photo.

C’est du jus d’ananas.

J’ai pas d’autre explication à la fraîcheur et la simplicité de ce qu’il y a dans mon verre (clairement pas à moitié vide). Les tanins qui surprennent tant dans les vins oranges se font ici tout doux, on dirait qu’ils fondent sur la langue. « C’est le millésime qui s’ exprime » s’exclame Théophile Milan. « On a rien changé par rapport à l’année dernière, juste quelques jours de macération en plus. Les vendanges ont été courtes, dans la fraîcheur du matin, des rendements ridicules à cause du mildiou. Les grappes restantes brillaient de rosée »

Et ça a clairement le goût d’un raisin chapardé à 7h du matin, à la fin du mois d’août, encore tout frais, de l’eau contre la peau, d’un geste un peu enfantin.

Le 2017 ( à droite de la photo) regarde, littéralement, un peu d’en bas, une bouteille de Radikon qui fait partie de la déco. « C’est une source d’inspiration, bien sur. Mais c’est surtout très bon, point. On cherche pas à faire pareil, quel intérêt? » explique Milan père, membre du regroupement de vignerons « AAA« , au côté de Radikon donc. « Mon père a rencontré Radikon au début des années 2000 sur Avignon, il a tout de suite adoré le potentiel de garde de leurs vins. En 2003 et 2004 il a essayé de faire de toutes légères macérations, deux/trois jours. Pour voir. Les gens n’étaient pas prêt, les millésimes suivants pas adaptés, il a arrêté et j’ai recommencé lors de mes premières vinification. »

Sur un pied d’égalité avec Radikon. Des tanins plein la bouche mais tout en rondeur, la profondeur des épices, et une petite fin noisette. C’est d’une complexité infinie. Aussi facile à boire que le 2018 tellement on a envie d’approfondir le sujet.

Pensée pour Ma Terre 2004, un de ces premiers essais de vin blanc de macération. En 15 ans il aura gagné en profondeur et épice mais on devine un fruit tout frais derrière. Tout simplement magnifique.


Paraphrasons.

C’était très bon.

Point.

La Péquelette, Vinsobres et bouses de cornes

Mon tout premier Vinsobres, c’était y a pas si longtemps, il y avait des pâtes au saumon sur la table basse, on était au fond d’un canapé, devant une télé dont les infos étaient couvertes par une discussion sur les couchers de soleils dans les alpilles.

C’était un Chaume-Arnaud

Autant dire que je trouve ça plutôt cool d’être aller au domaine il y a quelques jours, la camionnette pleine de bouses de vaches.

Quoi?


« Faut voir le vignoble, et tout ensemble vivant, comme un organisme. J’y mets tout mon cœur »

Y a des poignées de mains géniales. C’est rare mais il y en a. Celle de Cedric, qui sort de sa piscine en déconnant avec ses enfants et qui nous demande si on a fait bonne route en est.
Cedric Guillaume-Corbin est vigneron à Vinsobres, domaine la Pequelette. 8 hectares perchés sur une colline qui regardent vers le sud-est. Enfin si je dis ça c’est juste parce qu’au sud-est y a mon VentouxFichu appareil qui laisse à penser qu’on ne pouvait pas voir le sommet tout blanchi par la caillasse

Enfin, en un mot, l’endroit est magnifique.
En cents mots, ici on remplit le verre d’eau à la source, des chiens tendent la patte, on a une vue sur le géant de Provence, un vent frais arrive à lutter avec la chaleur folle, les cigales n’ont pas tout à fait le même son. Et il y a une drôle de préparation blanche dans des pots en verres.

Parceque la Péquelette est en biodynamie. Si je devais résumer l’idée avec mes petits mots la biodynamie ce serait trois choses importantes:
Le retour à des techniques ancestrales, on s’inspire des anciens, des indiens, on bannit la chimie lourde et les grosses machines.
On suit un rythme naturel. Basé sur la Lune, sur Jupiter pour ce qui est le moins facilement compréhensible, en étant au plus près des saisons, des climats, des données sensibles comme l’hygrometrie etc
Le travail de l’agriculteur sera plus d’accompagner la nature que de la travailler.

Est ce compréhensible ?
Je crois
Est ce clair pour autant ?
Peut être pas.

Ça ne l’était pas forcément pour moi. Pas avant ce petit voyage à Vinsobres

Et puis finalement, quand Cedric en parle, c’est assez simple. Le mec est pas du genre à se prendre la tête. Ça peut même paraître trop simple j’imagine, faire rire d’entendre quelqu’un dire qu’il faut aimer ses vignes et elles feront le reste.
Que ces gens essaient de parler 5 minutes avec Cedric, ils en sortiront avec qu’une envie: acheter quelques ares de vignes.
Et utiliser de la bouse de corne.

Parceque cette « chimie lourde » il faut bien la remplacer, accompagner les vignes et tout l’écosystème.
Rentre donc dans l’histoire pleins de préparations. De la plus simple à comprendre comme le compost à la plus complexe comme la silice.
Et Cedric fait partie de ceux qui en produisent et en filent à leurs copains.

Qu’est ce que ça change dans notre verre toute cette histoire ?
C’est toujours pareil. Faut le boire pour se faire son avis
Mais au rayon de mes certitudes personelles ces vins ont une capacité à surprendre infinie. Balayez toutes les idées reçues sur le goût, le terroir, acceptez que le même vin ne sera jamais tout à fait pareil.
Il y a toujours une légèreté en plus, peu importe les degrés, les tanins. Certains disent que c’est « glouglou », « d’une digestibilité folle ».
Il y a un truc en moins, qui enleve de la lourdeur et laisse la place à plus de nuances.


Et puis, sur la route du retour Chaume-Arnaud, virage à droite, fallait y aller.
Et quand Valérie Chaume-Arnaud a répondu un « Ça me donne envie tiens, j’essaierai » à mon « votre vin est excellent avec des pâtes au saumon », je me suis presque imaginé sommelier.

Le Château Romanin

Il y a des endroits qu’on aime d’amour petit.

Et qu’on aime pour d’autres raisons plus grand.

Les alpilles c’est ça pour moi. Lieu d’escapades, de promenades, de couchers de soleil.

Et puis maintenant c’est devenu mon petit paradis du vin.


Aujourd’hui visite du Château Romanin.

Et pour rentrer très vite dans le sujet (ce qui n’est pas une habitude que j’ai), je ne sais pas trop ce que j’en ai pensé. C’est maintenant le troisième domaine viticole des alpilles où je vais et c’est évidemment le plus impressionnant. On est à flanc de falaise, des ruines de château tout près, un chai cathédrale creusé dans la roche.

Une belle claque visuelle. On pousse l’énorme porte en bois massif, l’accueil est immense, on arrive au comptoir, l’accueil est parfait.

C’est la schizophrénie des alpilles, des petits villages, des grandes villa de célébrités, des forets magnifiques, des vignobles à perte de vue, des ruines antiques, des restos hors de prix.

Romanin a clairement choisi son camp. Les mots noblesse, élégance, classe sont dits, ils sont compris.

Une grosse cinquantaine d’hectares, des cuves en inox à la pointe, un chai qu’on compare à une cathédrale. C’est joli, c’est imposant. Est ce que c’est bon?

Le « chai d’oeuvre »

Alors oui. Oui évidemment. Mais en un sens c’est presque le minimum vu les ambitions, les prix et les démonstrations. Le problème c’est que j’ai tellement peur que tout ça ne soit que de l’apparence qu’il fallait que le contenu soit bien plus qu’à la hauteur.

Pourtant il y a plein de choses intéressantes. On est en biodynamie, on vendange à la main, les millésimes et leurs caractères sont respectés. Des prises de positions fortes qui me parlent et qui semblent loin de la superficialité que peut dégager le reste du vignoble provençal.

Et dans le verre y a une évidence, c’est digeste. C’est peut être con à dire mais ce que c’est agréable … Pas de lourdeur, une vivacité dans tout ce qu’on a pu boire, une acidité toujours présente, parfois très belle. Clairement, de ce que je comprends de la vinification et de ce que je ressens, je doute qu’il y ai énormément de souffre, on sent le respect du raisin qu’on ne camoufle pas.

Chose que j’apprécie beaucoup on a pu déguster plusieurs millésimes de la même cuvée.

2011, 2013, 2014 pour le Château en rouge avec les souvenirs des printemps pluvieux, des vendanges difficiles ou des étés parfaits. Très agréable de toucher du doigt les différences, la structure qui reste la même, la façon dont ce vin vieillit. Le 2013 est une bonne claque (la seule en terme de vin de la journée) des notes épicées parfaitement dosées avec ce qu’il faut de fraîcheur. Là où le 2011 se confiturait un peu. Joliment mais on perdait en fraîcheur. Très intéressant ce Château rouge. Me reste la barrière du prix. Pour plus de 25 euros on paie l’endroit, le luxe, Drucker. Ou c’est moi qui fait un blocage. Je ne sais pas.

La Chapelle 2017, gamme en dessous du Château ne m’a laissé aucun souvenir. Facile à boire oui, peu de nuance, encore cet aspect épicé mais plus discret. C’est glouglou oui mais rien de marquant

J’aime les blancs des Alpilles, je les aime sans réfléchir, j’aime le nez de Rolle, j’aime leurs minéralités, leurs fins acides parfois agrumes. Le Château blanc de Romanin ne fait pas exception. Un bon moment mais qui ne lutte pas avec leurs voisins si j’y réfléchis deux secondes. Pas de surprises, on est en terrain connu

Et le rosé sans fulgurance, plus charnu que ce à quoi je m’attendais. Moins facile que le blanc ou la Chapelle rouge, ça détonne enfin un peu, je le remarque, mais ça ne me parle vraiment pas. A tester autour d’un repas.


En résumé le lieu est sublime, le chai tout autant.

Mais j’aurai sans doute préféré me perdre le long des crêtes à la recherche des chèvres sauvages. Ou retourner au domaine Milan (on en reparlera, oui, oui)

A garder en souvenir, voir même à recommander le Château rouge 2013 et l’Huile d’olive verte. Et la visite, qui vaut le coup bien sur mais qui est loin de l’authenticité que je recherche.

Je continuerai à fouiller les Alpilles.