C’était très prévisible. Mais donnez moi une région où il fait frais, il y a des vaches, des vallées sinueuses et du vin nature qui coule à flot et je serais heureux. J’étais jamais allé en Ardèche et le samedi matin je me réveille en voyant sur l’appli Raisin qu’il y a un salon de vin à Saint-Pierreville. Même pas le temps de regarder où c’est exactement ce bled que je suis dans la voiture pour trois heures à sillonner entre Cévennes et Ardèche.
Direction Asssoiffé de Nature
Un Week-End en Ardèche
Le salon de vin nature le plus paumé de France cherchez pas c’est là. Prenez une carte, Privas parait pas loin à vol d’oiseau, c’est une heure de route en zigzag, je vous parle même pas de Valence ou Montélimar. Routes magnifiques,évidemment, on croise des ruisseaux, passe des cols, traverse des forêts. Les paysages que j’aime passionnément.
Et au détour d’une route un petit village, un de plus, je me gare, je cherche la salle des fêtes, voit d’autres personnes paumées, les suit, on descend une départemental, un dernier zigzag et on se retrouve devant un chapiteau. Une grosse vingtaine de vignerons de la région, des gens qui s’amusent. Let’s go!

Le Mazel: Les parrains du vin naturel ardéchois, dans ces régions méconnues du vin il y a souvent une locomotive qui a commencé dans les années 80/90, ici c’est Gérald et Jocelyne. « Tout le monde ici est passé, à un moment ou à un autre, au domaine, pour plus ou moins longtemps, faire une vendange, goûter les vins, discuter ». Alors on goûte.

Avec ces entrées de gamme du domaine c’est une espèce d’explication de ce qu’est l’Ardèche et ses cépages. Un viognier précis, loin des exubérances d’arômes que cette variété peut parfois avoir. « Raoul » est un pur carignan de plaisir, qui rafraîchit et éveille le palais, « Briand » est un grenache tout sur la cerise, pareil joli et glouglou. J’imagine qu’ils font des choses plus sérieuses et profondes, ici c’était une entrée de salon nickel, gouleyante et tout sur le plaisir. Ca donne envie de gouter le reste.
Sylvain Bock: Je déguste avec des parisiens qui m’expliquent l’omniprésence de ces vins dans la capitale, Sylvain sourit, « c’est rigolo les modes ». Comme les vins du domaine Mazel c’est précis, très propre, avec une jolie acidité. Pas spécialement élégant mais gourmand, digeste et sourieur. De jolis vins. Encore une fois le blanc « A la Fraiche » est celui qui m’emballe le plus, on l’imagine évidemment parfaitement pour se désaltérer tout l’été, « Bascule » lui est un joli Carignan 2019 qui pète de fruit. Dans le monde du vin nature tout le monde ne jure que par les vins digeste et glouglou mais ils sont finalement si dur à trouver avec une réelle qualité. Ici s’en est un. Nickel
Alors dans un salon tout n’est pas toujours parfait dans le verre, le vin n’est pas toujours à sa place devant la foule et dans des conditions de conservation pas terrible, on peut même imaginer qu’il y ait quelques cuvées pas terribles. Ou bien le vin ne marque pas mon esprit tout simplement, malgré ses grandes qualités. Dans ce rayon là pensées pour « Dithyrambe » du domaine Pierre Rousse qui est un sirop de grenadine parfait mais dont le reste des cuvées me passent au dessus tant ce sont de gros merlot très vert. « Kidiglou » du domaine Badea est une fin de bouteille qui commence à avoir un peu chaud mais qui garde de beaux arômes bien équilibré.
Et, à l’opposée, il y a les rencontres. Un québécois un peu exubérant crie au monde entier qu’il faut aller goûter un Cinsault, alors je vais au stand, le vigneron, Sandro, te prend direct sous le bras comme si on était potes depuis toujours, t’emmène tester ses stands préférés du salon. Domaine de la Sarbèche par exemple. J’en parlais ici l’appellation Saint-Peray est une petite bande de terre dans les Côtes-du-Rhône uniquement de blanc. Et ceux de Sarbèche sont de magnifiques vins, élégants, structurés, qui sortent du lot au milieu d’un salon au niveau moyen très bon mais surtout dans le vin glouglou, fruité et facile à boire.
Toujours guidé par Sandro, je revois Elodie du Clos des Cimes que j’avais déjà eu la chance de croiser. De l’autre coté du Rhône, au nord du Mont Ventoux elle produit des vins fins, racés et mordant avec beaucoup de savoir faire et chaque discussion avec elle me donne l’impression d’une rare sensibilité et technicité dans la vinification. La « Timidité des Cimes » est un rouge à la macération courte pour un vin frais et gouleyant là ou « A Fleur de Peau » est une syrah charnue et chaleureuse. Tout ses vins se tiennent, ont le même niveau d’exigence et apporte le même plaisir en bouche. Et puis il y a « l’Elfe Doré » un blanc un peu sucré , un peu pétillant, un peu enfantin. Le vin parfait pour une petite pause près du ruisseau, les pieds dans l’eau.
Grand domaine de mon petit cœur.

Et ce Cinsault alors ? Sandro est la moitié de Trescol é Bouit, son binome étant son vieux pote Jonathan qu’il a poussé à le suivre dans l’aventure vineuse après être tombé en admiration du travail du domaine Dard & Ribo immense nom du nord de la vallée du Rhône. Après de belles découvertes à leurs cotés et d’autres jolis nom du vin que j’aime, ils se lancent, dans le nord de l’Ardèche, tout près du lieu où se tient le salon, avec l’ambition de faire des vins à la même dimensions que leurs aînés.

Et c’est banco, et pas qu’un peu. Un Viognier que c’est du melon tellement que c’est l’été puis un rosé nerveux et tendu. Et les plats de résistances arrivent. Le « St Sôt »… Je suis amoureux de ce cépage et il me le rend bien, celui ci est épicé, gourmand, presque chocolaté. Le jus est mur, plein, suave. Et tu te retrouves vite mur, les verres s’enchaînent, Sandro sort un assemblage 50/50 Syrah/Cinsault « Cylinss 2019 », « on a fait la mise en bouteille y a trois semaines, on attend un peu, chuuut ». Et ça goûte magnifiquement le fruit rouge de la Syrah et l’épice du Cinsault, le fruit rouge du Cinsault et l’épice de la Syrah… Enfin les deux se complimentent parfaitement, c’est fondu, c’est coquin, c’est passionné et passionnant.
Derrière c’est une démonstration d’un juste milieu entre technique et espièglerie. Un Marselan qui n’a rien à faire là et qui rigole d’être en Ardèche, le Grenache rieur, le 100% Syrah qui montre que c’est pas des billes en vin profond et sérieux. Et puis Sandro c’est un des organisateur de ce cirque, il saute un peu partout, vérifie que tout le monde va bien, bois des verres de dégustation de 1L puis te parle pendant 15 minutes de ses pigeages et de l’importance des soutirages.
Après ça c’est définitivement compliqué de tenir la cadence. Et pour les vins et pour moi. Les vins d’Andra Calek autre petite star de cette Ardèche nature, une des raisons de ma venue ici, ne m’impressionnent pas. « Babiole » est un joli vin qui se moque bien de la starification que tu fais de son petit producteur, un vin tout simple, pas impressionant, discret, presque absent. Une babiole mignonne.

Je passe de jolis St-Joseph en jolis Cornas, le niveau moyen de ce salon est quand même très élevé. L’Ardèche c’est aussi la classe des Côtes-du-Rhône nord, la Syrah magnifique de l’Hermitage, qui enveloppe tout le palais, une texture onctueuse et des tanins soyeux. Mais bon, à la fin tout se ressemble, si j’étais venu avec l’envie sérieuse de déguster, de noter dans mon petit carnet, je me retrouve vite emporté, ça déconne entre ardéchois et québécois, le ruisseau devient un terrain de batailles navales. On est sous un cirque après tout.
Au milieu de cette belle folie un domaine sort du lot. J’en parlerais ailleurs, bientôt, tellement il est hors du temps et du moment et que c’est une rencontre marquante pour moi. Ici je vous laisse l’Ardèche, la vraie, la folle, la sauvage, la paumée. On reviendra sur l’Ardèche géniale, cérébrale et émouvante.
Là c’est le temps du dernier verre, une bouteille qui traîne par là, « le dernier rang », c’est adapté. Pierre Bourlier quoi que tu fasses continu. C’était méchamment bon.

Une belle carte postale mentale.